L’apnée du sommeil chez les personnes âgées, pourquoi est-il important d’y penser ?

Dr Cherifa Onifade Fagbemi Médecine du sommeil, Gériatre, Médecine de la mémoire, à Bordeaux

L’apnée du sommeil, un trouble du sommeil fréquent chez les personnes âgées ? Pourquoi ?

Avec l’avancée en âge, le sommeil change. La durée totale du sommeil n’est en principe pas modifiée, mais sa répartition évolue avec un sommeil qui devient davantage « polyphasique » (c’est-à-dire fragmenté en plusieurs périodes) avec souvent une sieste dans la journée après le repas(postprandial).

L’architecture du sommeil se modifie aussi, avec une diminution du sommeil profond, une augmentation du sommeil léger et plusieurs éveils durant le sommeil.

Le syndrome d’apnée du sommeil est un trouble du sommeil caractérisé par une fermeture intermittente, totale ou partielle, des voies aériennes entraînant des épisodes fréquents d’apnée et d’hypopnée.

Pour rappel :
– L’apnée est un arrêt du flux respiratoire pendant au moins 10 sec.
– L’hypopnée est une réduction du flux pendant au moins 10 sec, associée à une désaturation (diminution du taux d’oxygène dans le sang) ou à une réaction d’éveil.
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La fréquence du syndrome d’apnée du sommeil augmente avec l’âge. Plusieurs études montrent que 20 à 48% des personnes de plus de 60 ans sont concernées par ce trouble.

Malheureusement cette maladie est très peu diagnostiquée chez le sujet âgé, et ce pour plusieurs raisons, dont deux principales :

  • Un manque de connaissance des signes cliniques, plutôt atypiques dans cette population.
  • Le fait que certains médecins pensent que le traitement par pression positive continue (PPC) serait trop lourd et donc une contrainte pour ces patients âgés.

Quels signes doivent alerter ?

Il existe tout d’abord des signes cliniques classiques que l’on retrouve chez les adultes jeunes, comme la somnolence excessive en journée, des maux de tête le matin, l’asthénie (fatigue physique), les ronflements, les pauses respiratoires durant le sommeil, des sensations d’étouffements nocturnes, la nycturie (nécessité de devoir se réveiller une ou plusieurs fois durant la nuit pour aller uriner), des troubles de l’humeur.

En dehors de ces manifestations, les signes les plus fréquents et qui alertent chez les personnes âgées sont principalement les troubles de la concentration, les troubles d’attention et les troubles de la mémoire. La dépression est également un symptôme fréquent. On note également des troubles de l’équilibre avec des chutes à répétition, une insomnie ou confusion nocturne.

A noter également que certains médicaments peuvent aggraver le syndrome d’apnée du sommeil par leur effet myorelaxant (c’est-à-dire ayant pour effet de décontracter les muscles) comme les anxiolytiques.

L’échelle d’Epworth permet d’évaluer la somnolence en journée chez la personne âgée. Cependant, cette échelle peut sous-estimer l’apnée du sommeil chez des personnes ne présentant aucun signe de somnolence en journée. C’est pourquoi d’autres échelles, plus adaptées, ont été développées et validées pour évaluer la somnolence chez la personne âgée : l’échelle «Observation and interview diurnal sleepiness inventory (ODSI)» (1) qui permet d’évaluer la somnolence en journée et le questionnaire de dépistage «Observation-based nocturnal sleep inventory (ONSI)» (2) qui peut être utilisé la nuit par un personnel soignant, dans les EHPAD ou à l’hôpital.

Quelles conséquences si ce trouble n’est pas pris en charge ?

Avec l’âge, le fonctionnement des organes peut être altéré (le cœur, le cerveau, les reins etc.). Il est essentiel, pour nous médecins, d’essayer de maintenir le plus longtemps possible leur fonctionnement (ce que nous appelons la « réserve organique »), sans franchir le seuil d’insuffisance, c’est-à-dire le seuil de fragilité pouvant conduire à une perte d’autonomie de la personne. Le but est de favoriser « le bien vieillir ».

Le problème dans la population âgée est que l’apnée du sommeil évolue probablement depuis plusieurs années sans avoir été diagnostiquée et que des complications peuvent déjà être associées avec éventuellement des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des complications cardiovasculaires telle une fibrillation auriculaire (trouble du rythme cardiaque), une insuffisance cardiaque, un diabète ou encore un trouble neurocognitif (c’est-à-dire un trouble de la mémoire évoluant depuis au moins 6 mois, associé à des troubles de jugement, de raisonnement etc.) ou de type Alzheimer.

Il est donc important d’agir en amont afin de prévenir toutes ces complications et l’apparition de maladies associées pouvant accélérer la perte d’autonomie de la personne âgée.

En cas de doute, pour soi-même ou un proche âgé, le médecin généraliste est le premier contact à solliciter. Ce dernier pourra orienter si besoin vers un spécialiste, dans l’idéal un médecin gériatre spécialisé dans le sommeil ou vers un centre de sommeil ou une équipe de sommeil, de préférence à orientation gériatrique, qui pourra réaliser un diagnostic et proposer, si besoin, un traitement adapté.

Il est important de bien orienter pour que la personne puisse bénéficier d’une prise en charge globale en consultation, hospitalisation de nuit ou si besoin hospitalisation de jour.

Pour certains patients en établissement : résidences services, maison de retraite ou EHPAD, une téléconsultation peut être envisagée pour réaliser un test de diagnostic, avec une polygraphie ou une polysomnographie qui pourra se faire directement dans leur lieu de vie.

Avez-vous un message à faire passer ?

L’âge ne doit pas être un frein à la recherche et au traitement du syndrome d’apnée du sommeil.

Réaliser un diagnostic le plus tôt possible permet de limiter la survenue de complications médicales associées à ce trouble. Il ne faut pas hésiter à penser au syndrome d’apnée du sommeil devant la manifestation de troubles neurocognitifs tels des troubles de la concentration, des troubles d’attention ou encore des troubles de la mémoire.

Le traitement du syndrome d’apnée du sommeil améliore beaucoup la qualité de vie de la personne âgée et a tendance à améliorer également l’autonomie et stabiliser l’évolution des troubles neurocognitifs. Une étude va bientôt nous permettre d’évaluer sur le plan scientifique ces effets bénéfiques.

Enfin, quel que soit son âge, il est important de maintenir une bonne hygiène de vie et de sommeil, notamment en pratiquant une activité physique régulière, au moins deux fois par semaine ou 20 minutes quotidiennement. En cas de difficultés un rééducateur ou un enseignant en activité physique adaptée peut aider à pratiquer des activités adaptées à soi.

Références :

(1) Onen F & Onen SH, 2000. L’échelle ODSI peut être remplie aussi bien par le personnel paramédical que par l’entourage. Vous la trouverez sur ce lien. Si le score obtenu est supérieur à 5/24, nous vous recommandons d’en parler avec votre médecin (ou celui de votre proche).

(2) Onen 2008

One thought on “L’apnée du sommeil chez les personnes âgées, pourquoi est-il important d’y penser ?”

  1. Tout d’abord, je tiens à exprimer ma sincère gratitude pour la rédaction de cet article exceptionnel. Votre approche perspicace et détaillée sur le sujet de l’apnée du sommeil chez les personnes âgées est non seulement informative, mais aussi particulièrement importante. Je salue votre engagement à éduquer le public sur un problème de santé qui est souvent négligé.

    J’ai trouvé l’exploration approfondie de la complexité de l’apnée du sommeil chez les personnes âgées extrêmement enrichissante. Votre mise en lumière des signes et symptômes moins évidents, ainsi que la manière dont ils peuvent affecter la qualité de vie des personnes âgées, m’a fait voir ce problème sous un angle tout à fait nouveau. De plus, votre approche axée sur la promotion de la prise de conscience et l’importance d’une intervention médicale rapide est un véritable atout pour la communauté.

    Cependant, une question me taraude. J’aurais aimé en savoir un peu plus sur les options de traitement disponibles spécifiquement pour les personnes âgées. Les traitements habituels de l’apnée du sommeil sont-ils tout aussi efficaces pour cette population ou existe-t-il des approches thérapeutiques spécifiques pour les personnes âgées? J’apprécierais grandement si vous pouviez éclairer davantage sur ce sujet.

    Encore une fois, merci pour votre travail dévoué et pour l’attention portée à ce sujet crucial. J’attends avec impatience de lire vos futurs articles.

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